L'Union européenne cherche à normaliser les relations en Méditerranée orientale

Ces derniers mois, la région de la Méditerranée orientale est devenue une source de tension non seulement avec les pays européens qui s'y trouvent, comme la Grèce et Chypre, avec lesquels les désaccords sont plus courants, mais aussi avec d'autres qui le sont moins, comme la France et l'Allemagne. L'ingérence turque dans le conflit libyen, sur lequel une mission européenne veille au respect de l'embargo sur les armes, a donné lieu à plusieurs affrontements entre la marine turque et les marines française et allemande. Depuis lors, la rhétorique entre le dirigeant turc et le président français n'a cessé de croître, causant un problème majeur au sein de l'OTAN et, dans une moindre mesure, de l'Union européenne.
En outre, la tension entre la Grèce et la Turquie s'est également accrue au cours des dernières années 2020, en raison des intérêts turcs pour accéder aux zones où il y a une accumulation d'hydrocarbures, mais qui se trouvent dans des eaux que la Grèce et Chypre considèrent comme les leurs et que la Turquie conteste. La Grèce et la France ont donc fait valoir, lors de la dernière réunion de l'OCUE en décembre, la nécessité d'appliquer des sanctions au régime d'Erdogan.
La grave situation à laquelle est confrontée l'économie turque a obligé Erdogan à faire marche arrière et à mettre de côté la rhétorique fraternelle de ces derniers mois pour rechercher un retour à la normale en ce qui concerne les relations avec l'Union européenne. Pour démontrer ce rapprochement, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, et le président du Conseil européen, Charles Michel, rencontrent à Ankara le président turc, Recep Tayyip Erdogan, pour tenter de normaliser les relations bilatérales tendues, lors d'une réunion à l'ordre du jour chargé, de la migration à la recherche de gaz en Méditerranée. Le voyage des présidents du Conseil européen et de la Commission est considéré comme le début d'un processus qui, selon les souhaits des Vingt-Sept, pourrait permettre de réorienter les relations entre l'UE et la Turquie après une année 2020 très compliquée.

Charles Michel a également fait part du soutien de l'UE à la Libye et à la Tunisie, deux pays frappés à plusieurs reprises par le terrorisme et à l'origine ou au transit de puissants flux migratoires vers le sol européen. Le président du Conseil européen a également souligné la nécessité de respecter l'embargo sur les armes après que l'opération navale de l'UE (Irini) a intercepté ces derniers mois des navires turcs soupçonnés de violer l'embargo des Nations unies. Les sources de l'UE soulignent que Michel est le premier dirigeant international à se rendre à Tripoli depuis la formation d'un gouvernement d'unité nationale qui vise à mettre fin à près de 10 ans d'instabilité et de conflit civil.
La tournée méditerranéenne de Michel s'est arrêtée en Tunisie, où sont nées les révoltes du soi-disant printemps arabe et qui, dix ans plus tard, tente d'aller de l'avant avec une démocratie fragile. L'UE a tenté de contribuer à la stabilité de la Tunisie, avec une aide financière de 3 milliards d'euros depuis 2011. Le pays est l'une des pièces maîtresses de la politique migratoire de l'UE, qui cherche à conclure des accords avec l'Afrique du Nord afin de réguler les flux migratoires en provenance ou à destination de cette région.
Les Vingt-sept sont également conscients qu'Ankara peut être un allié décisif face aux tensions accrues avec la Chine et la Russie. Les dirigeants européens soulignent que "tant que la dynamique actuelle de désescalade est maintenue", l'Union européenne sera disposée à s'engager avec la Turquie "de manière plus progressive et proportionnée" dans le but de "renforcer la coopération dans un certain nombre de domaines d'intérêt commun".

Cette visite intervient quelques semaines après le sommet européen au cours duquel les dirigeants de l'UE ont convenu de préserver un agenda positif à l'égard de la Turquie, à condition que celle-ci conserve une attitude de dialogue en Méditerranée orientale, notamment dans ses relations avec Chypre et la Grèce.
Dans cette note, la Turquie a déclaré l'importance de la réunion en soulignant que "tous les aspects des relations entre la Turquie et l'UE" seront discutés, ainsi que les questions internationales. À l'ordre du jour figure également le renouvellement du pacte migratoire conclu en 2016, par lequel la Turquie s'est engagée à accueillir en retour les réfugiés syriens arrivant en Grèce depuis son territoire, et qui a servi en pratique à bloquer le flux migratoire vers l'Europe depuis cette région.
La situation au sein de l'Union européenne est plus compliquée qu'il n'y paraît, Ankara dispose d'un joker qu'elle n'a pas hésité à utiliser en d'autres occasions, à savoir le blocage de la route migratoire de la Méditerranée orientale, allégeant la pression migratoire que la Grèce a subie ces dernières années. La Turquie, en échange d'une aide économique substantielle - vitale, vu la situation du pays - est chargée de gérer une partie de cette arrivée de migrants, d'empêcher qu'ils n'atteignent le sol de l'UE et d'éviter la répétition de dures discussions politiques au sein des institutions.

La politique migratoire susmentionnée n'est pas le seul sujet sur lequel Ankara tient en échec l'Union européenne. L'Allemagne compte près de trois millions de personnes d'origine turque, de sorte que les relations entre Berlin et Ankara ont également une certaine connotation domestique qui empêche le pays d'aborder librement des questions telles que l'application de sanctions. Toutefois, l'interception d'un navire turc par des troupes allemandes dans le cadre de l'opération Irini a récemment fait monter le ton du discours entre l'Allemagne et la Turquie.
Plusieurs analystes turcs ont souligné l'importance de cette réunion, tant pour Bruxelles que pour Ankara, et ont rappelé que malgré la détérioration des relations et les nombreux fronts ouverts, la Turquie continue d'insister sur son objectif d'adhérer à l'Union européenne, ce à quoi s'opposent plusieurs pays de l'UE.
L'exemption de visas pour les citoyens turcs se rendant dans l'UE, l'une des principales aspirations d'Ankara dans ses relations avec Bruxelles et qui a été mise en avant dans le cadre de l'accord sur la migration, devrait également être discutée. D'autre part, la libéralisation des visas est conditionnée depuis 2018 à la reconnaissance de la République de Chypre par Ankara, ce qui signifie que la convergence politique à cet égard est de plus en plus improbable.
L'UE est consciente de ses relations difficiles avec la Turquie et de ses revers potentiels, mais elle fait preuve de pragmatisme en évaluant le climat politique actuel, où le pays eurasien peut jouer un rôle décisif dans la formation d'alliances.