Premières réactions émiraties aux provocations algériennes

Alger subit une série de piques vitriolées de la part de personnalités émiraties et arabes, c’est la conséquence des dernières insinuations du président Tebboune qui avait proféré des menaces indirectes contres les Emirats arabes unis
Abdelmadjid Tebboune - PHOTO/FILE
Abdelmadjid Tebboune - PHOTO/FILE

Alger avait déclaré les hostilités depuis le mois de juin dernier. Cela avait commencé par la publication, par le site du quotidien En-nahar, d'une information, démentie par les autorités, sur l'expulsion de l'ambassadeur des Emirats à Alger pour une affaire d'espionnage au profit du Mossad israélien. 

Cela avait valu à Mohammed Bouslimani, ministre de la communication, qui n’a aucun pouvoir sur le média coupable de la diffusion de cette fausse information, un limogeage manu militari, tard dans la nuit du 20 juin 2023. En mettant fin aux fonctions de son ministre, Tebboune ignorait les dessous de cette information diffusée par une publication proche des services de renseignements. La directrice de la publication ne fera l’objet d’aucune sanction. 

Quelques semaines plus tard, c’est un autre média arabophone, le quotidien El-khabar, qui publie un brûlot contre les Emirats arabes unis sous le titre « Abou Dhabi la capitale des intrigues ». Il sera suivi par le Soir d’Algérie, un quotidien privé francophone. 

Durant ces dix derniers mois, la presse algérienne, privée et publique, menait une véritable campagne hostile aux Emirats sans que n’interviennent les autorités connues, pourtant, pour leur sévérité et leur poigne de fer contre les médias. 

Le silence des pouvoirs publics est un indice de complicité même si jusqu’ici, aucune déclaration officielle n’est venue emboîter le pas à cette pléthore de journaux et sites d’informations qui rivalisaient en violence verbales contre un pays accusé sans preuves de fournir des armes et du matériel d’espionnage à « l’ennemi traditionnel » du régime algérien, le Maroc. La seule réaction enregistrée du côté émirati est le refus du chef de l’Etat le cheikh Mohammed ben Zayed Al Nahyane qui avait refusé de rencontrer le président algérien au forum économique international de Saint-Pétersbourg au mois d’avril de l’année dernière.

Totalement étranger à cette escalade contre Abu-Dhabi, le président Tebboune s’est vu entraîner au cours d’une réunion du Haut Conseil de sécurité qui compte sept patrons des services de sécurité dont le chef d’état-major de l’armée, le général Saïd Chengriha tenue le 10 janvier dernier » A l’issue de cette réunion l’Algérie avait fait part de ses regrets concernant « les agissements hostiles à l’Algérie, émanant d’un pays arabe frère ». Sans citer le pays en question, tout le monde avait compris qu’il s’agissait des Émirats arabes unis (EAU). 

Abdelmadjid Tebboune y Said Chengriha - PHOTO/FILE
Abdelmadjid Tebboune et Said Chengriha - PHOTO/FILE

Si les hostilités se limitaient jusqu’ici à de simples écrits de presse commandités par les services de renseignements qui sont sous le contrôle du général Chengriha, samedi dernier, le président Abdelmadjid Tebboune s’est fait inviter à entrer en jeu. 

C’est le journaliste de la chaîne de télévision étatique, AL24, qui interroge le président sur ce qu’il pense de cet « Etat qu’on a toujours refusé de citer nommément, et qui poursuit ses menées agressives contre l’Algérie ». Apparemment gêné par cette question, le président algérien finit par mettre les pieds dans le plat. Ses insinuations étaient très claires. « L’Etat frère » qui est passé au pilori n’est autre que celui des Emirats arabes unis. Il confirme les allégations du journaliste en déclarant « « Il est étrange de voir comment un de nos frères lointains agit en faisant des allusions et des sous-entendus concernant ses relations avec les Émirats, continuant les insinuations voilées sans clarifications ni explications. » Et le président algérien de menacer « Si tu cherches à avoir avec nous les comportements que tu as avec les autres, tu te trompes. Nous avons 5,63 millions de chahid [martyrs] morts pour ce pays. Ceux qui veulent s’approcher de nous, qu’ils le fassent »

Si le chef de l’Etat algérien s’était gardé de citer le pays visé, le lendemain, le quotidien arabophone Echourouk, n’y va pas par trente six chemins. « Dans leurs analyses de ses déclarations faites à l’adresse des Emirats les experts d’Echourouk concluent : 3 messages de Tebboune à l’État de traitement des tâches ». Une façon de lever toute équivoque sur les insinuations du président. « Comme si on voulait le mouiller davantage dans ces menées hostiles à un pays où les barons du régime algérien déposent une bonne partie du butin volé au peuple algérien » commente un expert des affaires algériennes.

La réaction émiratie n’a pas tardé à se manifester. Le coup d’envoi est donné par le Dr Anwar Gargash, l’ex-ministre émirati des affaires étrangères et actuellement conseiller principal de Mohammed ben Zayed Al Nahyane. Il tweet sur la plateforme X en adoptant le même style que les Algériens, il y va avec des insinuations qui ne laissent pas l’ombre d’un doute sur le pays ciblé. « « Il est étrange de voir comment un de nos frères lointains agit en faisant des allusions et des sous-entendus concernant ses relations avec les Émirats, continuant les insinuations voilées sans clarifications ni explications. Pourtant, choisir de ne pas répondre et de patienter face à ces provocations restera notre voie, car la sagesse est un héritage de notre leadership qui considère les relations avec les pays frères comme une priorité et un pilier central de notre politique. »

Mohamed bin Zayed al-Nahyan, presidente de Emiratos Árabes Unidos - PHOTO/BANDAR ALGALOUD
Mohammed bin Zayed al-Nahyan, président des Émirats arabes unis - PHOTO/BANDAR ALGALOUD

Abdulkhaq Abdullah, professeur de sciences politiques, lui emboîtera le pas « « Les propos du président d’un pays arabe sur un autre pays arabe sont décevants et malencontreux. Monsieur le Président, vous avez des crises internes complexes ; abordez-les avec sagesse et une bonne gestion, et ne les attribuez pas, même par insinuation ou de manière imprudente, à une partie externe dans une tentative machiavélique et évidente de fuir vers l’extérieur pour couvrir les erreurs internes. Nous prions pour qu’[Abdelmadjid Tebboune] soit mieux guidé au cours des dix derniers jours du Ramadan. » Un tweet qui fait franchement mal au président algérien. Et ce n’est pas fini.

Nawaf Musfer Ben Hilal, écrivain arabe, spécialisé dans les affaires du monde arabe et de l’Afrique du Nord, ne prend pas de gants pour désigner, sans ambages, le président Tebboune en écrivant sur la plateforme X « « C’est une grande faute de la part du président algérien de parler ainsi d’un pays frère du Golfe. Il n’a pas résolu les problèmes de son pays, riche en pétrole. Où vont leurs énormes richesses de gaz et de pétrole ? Le peuple meurt en mer pour atteindre la France, et leur argent va au Polisario. Est-ce que l’Algérie est envieuse d’un pays [les Émirats] qui a su investir ses richesses alors qu’elle est rongée par la corruption ? » Jamais une personnalité étrangère n’avait osé aller au fond des choses et mettre le doigt sur la palie qui fait le plus mal au régime algérien.

« Ce n’est que le début », selon, un proche des autorités émiraties. « On parle du déclenchement, dans les jours à venir, d’une campagne médiatique qui fera regretter à Alger cette provocation gratuite contre un pays qui ne lui a jamais cherché noise ». Une campagne de presse contre Alger c’est ce que redoutent les services secrets algériens, aujourd’hui, en mesurant l’influence des Emirats sur les médias arabes. Il fallait y penser avant de jeter la première pierre.