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Triple alliance anti-française au Sahel

PHOTO/FILE - Mercenarios del grupo Wagner aterrizando en Mali
photo_camera PHOTO/FILE - Les mercenaires du groupe Wagner débarquent au Mali

Le Niger, le Burkina Faso et le Mali ont conclu à Bamako un accord de défense collective qui consacre leur rupture avec l'ancienne puissance coloniale et s'oppose ouvertement à la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO). La triple alliance, signée samedi, reprend presque mot pour mot l'article 5 du traité de l'OTAN, qui stipule que "toute atteinte à la souveraineté et à l'intégrité territoriale d'une ou de plusieurs des parties contractantes sera considérée comme une agression contre les autres parties et entraînera un devoir d'assistance". Cela inclut bien sûr le recours à la force armée.  

La signature du traité, connu sous le nom de Charte du Liptako-Gourma, tire son nom de cette région, sommet sur lequel convergent les zones frontalières des trois pays, et qui connaît constamment des crises causées par des niveaux élevés de pauvreté, des ressources de plus en plus rares et une violence déclenchée par la criminalité et le crime organisé, ce qui a entraîné le déplacement de 90 % de sa population, soit près de trois millions de personnes, et une augmentation considérable de l'émigration vers l'Europe, soit par la mer vers les îles Canaries, soit à la poursuite de la Méditerranée. La forte augmentation des arrivées de migrants dans l'archipel espagnol et sur l'île italienne de Lampedusa fait partie des thermomètres qui mesurent la montée de la tension au Sahel.  

L'accord est également intervenu alors que l'ambassadeur de France à Niamey, Sylvain Itté, était retenu en otage dans le bâtiment de l'ambassade, "kidnappé" selon les termes du président Emmanuel Macron, sans que ses collègues diplomates d'Espagne et de l'UE ne puissent lui livrer de la nourriture et d'autres produits de première nécessité. Les putschistes nigérians ont également incité des dizaines de milliers de personnes à manifester devant l'une des bases françaises, exigeant qu'elle soit libérée. Sur les 5 000 soldats français, il n'en reste que 1 500, ainsi que des dizaines d'avions et d'hélicoptères de combat.  

L'initiative des trois juntes putschistes du Niger, du Mali et du Burkina Faso fait suite à l'échec présumé de la CEDEAO à mettre à exécution ses menaces d'intervention militaire si les putschistes nigérians du général Abdoaurahmane Tchiani ne rétablissaient pas le président Mohammed Bazoun dans ses fonctions. Au début du mois d'août, le Nigeria, la Côte d'Ivoire, le Sénégal et la Guinée avaient lancé des avertissements, donnant un délai d'une semaine pour rétablir Bazoun dans ses fonctions. Les putschistes ne l'ont pas fait et les troupes de la CEDEAO, dont les chefs d'état-major se seraient coordonnés pour exécuter l'opération, n'ont pas non plus envahi le pays.  

La principale conclusion de tout cela est que la France a définitivement perdu pied dans la région, où elle est confrontée à une hostilité croissante et manifeste, qui pourrait s'étendre à l'Union européenne elle-même.  

Et, dans le même temps, que la Russie encourage très probablement le sentiment anti-occidental dans la région. L'annonce de la formation de l'alliance a été faite à l'issue d'une réunion conjointe des ministres de la Défense du Mali et du Niger, à laquelle a également participé le vice-ministre russe de la Défense, Yunus-Bek Evkurov, accompagné du général Andrei Averyanov, soupçonné d'avoir organisé le sabotage de l'avion transportant les dirigeants du groupe Wagner, dont son principal dirigeant, Evgeny Prigozhin.  

Avant de se rendre à Bamako, Evkurov s'était rendu au Burkina Faso pour rencontrer le chef de la junte militaire, Ibrahim Traoré, avec lequel il aurait discuté "d'aide militaire, de coopération dans le domaine de l'énergie nucléaire et de liens économiques". Concernant le premier chapitre, la Russie aurait promis de fournir des instructeurs à l'armée burkinabé, y compris pour le pilotage d'avions de chasse.  

Une fois de plus, il semble que nous soyons sur la voie d'une nouvelle confrontation Russie-Occident dont l'Afrique serait le théâtre le plus chaud et le plus sanglant. Même si l'homme fort de la junte putschiste malienne, Assimi Goita, a tenté d'envelopper l'accord dans "un grand projet d'assistance mutuelle au profit des populations respectives", il semble évident que l'aspect militaire de l'alliance prime.  

De son côté, si elle ne réagit pas, la CEDEAO perdra une grande partie de sa crédibilité. Les incessants rebondissements et atermoiements diplomatiques ont rendu caduque sa capacité de menace, à l'instigation notamment du président nigérien Bola Tinubu, qui avait même proposé aux putschistes nigériens une période de transition de neuf mois, qu'ils ont catégoriquement rejetée, exigeant pas moins de trois ans avant de pouvoir organiser à nouveau des élections.   

Pendant ce temps, le terrorisme djihadiste augmente aussi progressivement ses opérations d'occupation et de terreur dans certaines parties du Sahel, profitant de l'évidence de l'État failli qu'est devenue la Libye, comme en témoigne la tragédie causée par l'ouragan Daniel. Des ramifications de Daesh se sont établies dans le pays, qui pourrait à son tour servir de base pour le lancement d'attaques terroristes majeures.