Un consortium d'entreprises émirati accepte de construire une zone portuaire de 6 milliards de dollars dans l'enclave stratégique d'Abu Amama

Emirates va exploiter un port soudanais sur la mer Rouge

PHOTO/UAE GOVT - Dans cette image d'archive, le président émirati Mohamed bin Zayed reçoit le lieutenant-général Abdel Fattah Al-Burhan, chef du Conseil souverain du Soudan, accompagné de l'ancien Premier ministre Abdalla Hamdok

Un consortium d'entreprises des Émirats arabes unis a conclu un accord préliminaire avec le gouvernement militaire du Soudan pour exploiter le port d'Abu Amama sur la mer Rouge. Cette enclave stratégique abritera la deuxième zone portuaire du pays après Port-Soudan, une infrastructure en déclin ces derniers mois en raison de la profonde crise interne. L'État du Golfe renforce ainsi son influence sur la politique soudanaise à un moment où la transition vers un régime civil commence pour la deuxième fois. 

Le consortium composé d'Abu Dhabi Ports Group, détenu par le fonds souverain Abudabi ADQ, et d'Invictus Investment Company PLC, géré par DAL Group, le plus grand conglomérat d'entreprises du Soudan, négociait depuis des mois un accord qui a été rendu public mardi par l'agence de presse nationale SANA. Le projet était un secret de polichinelle. Le magnat soudanais Osama Daoud Abdellatif, propriétaire d'Invictus Investment, a révélé à Reuters en juin les termes de l'accord, alors "à un stade avancé". 

Le ministre soudanais des Finances, Ibrahim Gibril, et Abdellatif ont signé un document qui permettra aux sociétés émiraties de "développer, gérer et exploiter directement certains actifs portuaires et de zones économiques, ainsi que de créer des coentreprises, des partenariats ou d'autres accords commerciaux pour soutenir le financement, le développement, la construction, la gestion et l'exploitation des projets", selon le communiqué du consortium.

L'accord comprend un autre contrat portant sur l'exploitation d'une zone agricole d'une valeur de 1,6 milliard de dollars dans la ville d'Abu Hamad, située dans l'État contigu du Nil, ainsi que sur la construction d'une route à péage de 500 kilomètres dont le coût pourrait atteindre 450 millions de dollars et qui serait financée par le Fonds d'Abu Dhabi pour le développement, le principal financier du projet. Il permettrait de relier Abu Hamad à l'infrastructure portuaire d'Abu Amama. 

Mais ce n'est pas tout. Le conglomérat d'entreprises émirati s'est engagé à équiper le port de technologies de pointe. Des zones industrielles, touristiques et résidentielles ainsi qu'un aéroport international et une centrale électrique seront construits autour d'Abu Amama. Les investissements dépasseraient 6 milliards de dollars. Avec cet ambitieux projet, les Émirats entendent copier le modèle réussi de Jebel Ali à Dubaï, le plus grand port artificiel du monde et le plus actif de la région, inauguré en 1979 et agrandi au début du siècle. 

Était présent à la cérémonie de signature le général Ibrahim Jabir représentant le Conseil souverain, l'organe qui contrôle le Soudan depuis 2019. Ni Abdel Fattah al-Burhan, le président autoproclamé après le soulèvement militaire qui a renversé l'autocrate Omar Hassan al-Bashir, ni le controversé vice-président Mohamed Hamdan Dagalo, alias Hemedti, les hommes forts du pays soutenus par les EAU et leurs partenaires du Golfe, n'étaient présents.

Puerto Sudán

Les termes de l'accord auraient été finalisés par al-Burhan lui-même et le président des EAU, Mohamed bin Zayed, après le dernier voyage du chef militaire soudanais dans le pays du Golfe, selon Reuters. Abdellatif, quant à lui, affirme que les négociations concernant le port d'Abu Amama ont commencé en juillet 2021, trois mois avant le coup d'État militaire qui a mis fin à la transition civile menée par l'ancien Premier ministre Abdalla Hamdok. 

Cette annonce a suscité des réactions négatives au sein de l'opposition politique et de la population civile. Ce n'est pas la première fois. Les travailleurs dénoncent la vente des industries stratégiques nationales et, surtout, l'ingérence des Émirats arabes unis dans les affaires intérieures. En mars dernier, un groupe de manifestants a bloqué l'accès à Port-Soudan à l'occasion d'une visite de Hemedti, qui s'est empressé de nier que l'infrastructure portuaire ne serait pas privatisée, et encore moins qu'elle tomberait aux mains des Émirats. Le projet n'était pas là, mais à 200 kilomètres au nord. 

Ce n'est pas le seul contrat sur la table proposé par Abu Dhabi. Le même conglomérat commercial émirati a soumis une autre offre pour le contrôle de la plus grande entreprise de télécommunications du pays, Zain Sudan.

PHOTO/AP - El general Mohammed Hamdan Dagalo. Un año después de que una toma de posesión militar pusiera en jaque la transición a la democracia en Sudán el 25 de octubre de 2021, las crecientes divisiones entre las dos poderosas ramas de las fuerzas armadas ponen aún más en peligro el futuro de Sudán
L'influence émiratie au Soudan 

Après le renversement de l'islamiste Omar el-Béchir après plus de trois décennies au pouvoir, les pays du Golfe se sont engagés à injecter des milliards de dollars dans les comptes en difficulté du Soudan. Les Émirats arabes unis sont alors devenus l'un des principaux investisseurs du pays et ont tissé des liens plus étroits avec les chefs des forces armées soudanaises qui avaient favorisé la chute de l'ancien président. En 2020, les exportations du Soudan vers les EAU se sont élevées à 1,86 milliard de dollars. 

"La transition a poussé les États voisins à essayer d'obtenir un gouvernement à leur goût, notamment la vaste alliance des Émirats arabes unis, de l'Arabie saoudite et de l'Égypte. Ces pays n'apprécient pas la présence d'islamistes dans le gouvernement issu du coup d'État, mais considèrent les militaires comme la moins mauvaise option, et certainement préférable à une transition démocratique", écrit Amgad Fareid Eltayeb, ancien chef de cabinet adjoint de l'ancien premier ministre civil Abdalla Hamdok, qui a été déposé par les militaires au milieu de la transition politique, dans le European Council on Foreign Relations

"L'influence islamiste est à nouveau visible dans l'ensemble de l'administration publique, en particulier dans le bureau du procureur, le service des affaires étrangères, la police et, surtout, le système judiciaire. Depuis le coup d'État, des décisions de justice ont remis aux islamistes de nombreux biens précédemment confisqués", ajoute Amgad. Ce scénario a poussé Abu Dhabi à réajuster ses intérêts. 

Emiratos Sudán

Les EAU ont réussi à faire pression sur les acteurs politiques soudanais pour qu'ils débloquent la crise dans le cadre du Quad, un groupe dirigé par les États-Unis qui comprend également l'Arabie saoudite et le Royaume-Uni. Pour l'instant, le mécanisme a réussi à amener l'armée et une coalition de plateformes civiles pro-démocratiques à la table des négociations. Ils négocient le contenu d'un accord visant à retirer les militaires du gouvernement. Le 5 décembre, ils ont annoncé un premier pas dans cette direction, mais le scepticisme reste de mise. Personne ne croit que les forces en uniforme renonceront au commandement.