Un avenir probable pour l'Europe

La fin de la période dite de la guerre froide, conséquence de l'échec du communisme en URSS, a activé une configuration stratégique unipolaire éphémère. Sous une fragile "Pax Americana", l'imagination géopolitique s'est libérée, générant une "audace" intellectuelle qui a façonné des politiques universelles aux traits utopiques constituant les piliers de la démocratie libérale, établissant, tendanciellement, un ordre basé sur des règles, des marchés libres et la conception éthique de l'Occident, avec les droits de l'homme comme évangile qui serait mis en œuvre à l'échelle mondiale.
Cependant, la dynamique obstinée de l'histoire a englouti le rêve. Si E. H. Carr avait vécu, il est probable qu'il aurait publié la deuxième version de la "Crise de vingt ans", dans laquelle il aurait mis en évidence des facteurs conjoncturels tels que le chaos, l'anarchie, l'incertitude, la guerre et les formes non orthodoxes de conflit. Plusieurs régions et États ont été engloutis par les effets de la mondialisation, les bouleversements et l'interdépendance complexe qui en résultent ayant favorisé la prolifération de nouvelles menaces et de nouveaux risques liés aux perspectives de coercition, de perturbation, de subordination et de conquête.
En ce sens, il faut admettre que la confrontation actuelle entre la Russie et les États-Unis sur le sol européen s'inscrit dans cette lutte pour la définition des objectifs stratégiques et les décisions qui en découlent au niveau opérationnel, comme le montre l'exemple de l'Ukraine. En outre, la énième guerre avec Gaza comme champ de bataille, la perturbation des chaînes d'approvisionnement par l'interdiction maritime des Houthis, les attaques de harcèlement soutenues par Téhéran et la menace chronique de Taïwan contribuent à une atmosphère de confrontation internationale qui affecte la situation en Europe.
La guerre en Ukraine se poursuit ou, en d'autres termes, une guerre de haute intensité est en cours en Europe de l'Est. Les opérations semblent se limiter à des combats locaux sur la ligne de front et, outre l'adoption de la posture défensive ukrainienne, il y a des actions de harcèlement sur le territoire russe, l'opinion largement répandue étant que la liberté d'action relative appartient à Moscou. Après deux ans de guerre, la perception de la situation en Europe, basée sur la désinformation, est passée d'un certain triomphalisme suprématiste à un pessimisme soudain, comme en témoignent les apparitions publiques, ces dernières semaines, d'un certain nombre d'hommes politiques et d'officiers militaires de haut niveau mettant en garde contre une guerre possible avec la Russie dans des conditions fondamentalement différentes de celles envisagées jusqu'à présent. Tout cela, accompagné de discussions sur le nécessaire rétablissement de diverses formes de conscription dans les pays européens, est sans précédent.
Les effets de la guerre en Europe de l'Est
La question se pose spontanément. Pourquoi ce changement soudain dans la perception de la menace de guerre par l'Europe alors qu'il y a quelques mois, on affirmait que la "contre-offensive ukrainienne" allait vaincre les forces russes et reprendre la Crimée ? La réponse se trouve dans le fait que la guerre par procuration présente des inconvénients, notamment celui de ne pas être un modèle à appliquer "sine die" en raison de la difficulté d'évaluer les résultats. Les effets de la guerre en Europe de l'Est sont plus complexes que ce que l'on pourrait déduire des rapports des médias.
Pour la pensée stratégique américaine du début 2022, l'invasion de l'Ukraine représentait une opportunité d'affaiblir les capacités militaires russes sans avoir besoin d'une confrontation directe avec les forces occidentales. En deux ans de guerre, la Russie a réussi à imposer l'initiative au niveau opérationnel par des actions militaires d'attrition, tout en canalisant l'impact des sanctions économiques. L'approche par procuration, celle du soutien occidental à Kiev comme instrument pour vaincre Moscou, a pour limite l'escalade, c'est-à-dire ne pas agir militairement au niveau stratégique, car l'escalade serait incontrôlable. L'absurdité est servie.
L'effet a été comme si une crise d'anxiété avait frappé l'establishment européen de la défense en envisageant un avenir dans lequel l'allianciste "sceptique" Trump serait le prochain président des États-Unis, tandis que la Russie ne serait pas expulsée ou vaincue en Ukraine. Dans cet état d'esprit, des évaluations et des avertissements ont été formulés selon lesquels l'Europe pourrait être entraînée dans une guerre avec la Russie.
Le doute s'installe lorsqu'il s'agit d'identifier l'ampleur du conflit. Si l'on fait allusion à la Russie, on identifie un acteur doté d'une économie de guerre ; si l'on fait allusion à l'Europe, l'ambiguïté s'installe. Manfred Weber, chef du Parti populaire européen au Parlement européen, a avancé l'idée que l'UE devrait remplacer l'OTAN dans la défense du continent, en proposant "un pilier de défense européen" qui devrait inclure un parapluie nucléaire, fourni par la France, le seul État doté d'armes nucléaires au sein de l'UE. "Quand je regarde l'année en cours en tant qu'homme politique européen, la première chose qui me vient à l'esprit, c'est Trump". La déclaration de Weber est révélatrice de la perplexité européenne.
Pendant ce temps, le général Sir Patrick Sanders, chef de l'armée britannique, a affirmé que l'armée professionnelle du Royaume-Uni était trop petite pour résister à une guerre totale avec la Russie et qu'une "armée citoyenne" serait nécessaire, faisant allusion à un retour à la conscription en cas d'urgence totale. Bien que Downing St ait rejeté cette hypothèse, d'autres pays européens, comme la Lettonie et la Suède, ont relancé des formes de service militaire. Le ministre allemand Pistorius a déclaré en décembre qu'il "envisageait toutes les options".
Certains hommes politiques européens évoquent la nécessité de créer un commissaire européen à la défense, mais la réalité est que l'OTAN et l'UE sont deux entités fondamentalement différentes. La préparation à la guerre n'est pas une activité pour 2030, et il n'y a pas d'autonomie stratégique aujourd'hui et d'autonomie géopolitique demain. L'action de M. Weber est une illustration de l'inadéquation de Maastricht à notre époque. Au même moment, les ministres des Affaires étrangères du "Triangle de Weimar" franco-germano-polonais se réunissaient en banlieue parisienne pour une "réunion de travail" avec des responsables militaires mettant en garde contre la menace russe qui pèse sur l'OTAN en arrière-plan et les risques d'une réélection de Trump en novembre.
Une période curieuse s'annonce.