L'effondrement d'un géant

Sede del Grupo China Evergrande en Shenzhen, China - REUTERS/ALY SONG
Sede del Grupo China Evergrande en Shenzhen, China - REUTERS/ALY SONG

La bouée de sauvetage n'est jamais venue et finalement la plus grande société immobilière du monde, la chinoise Evergrande, a vu sa liquidation ordonnée par un tribunal de Hong Kong. Le géant s'est effondré avec fracas après que ses difficultés à rembourser la dette colossale qu'il avait accumulée ont été découvertes en 2020, et qu'en 2021 les États-Unis l'ont déclaré en faillite, une décision que le gouvernement de Xi Jinping a alors considérée avec un mélange d'étonnement et de résignation. L'entreprise était devenue un emblème du développement spectaculaire impulsé par le régime, dans la mesure où elle avait été le principal moteur de la transformation urbaine du pays. Pékin, cependant, n'exercera pas beaucoup de pression pour la protéger, une attitude qui répondrait au souhait des dirigeants que la chute éventuelle d'Evergrande serve d'exemple et d'avertissement aux promoteurs enclins à l'endettement illimité.  

La décision du tribunal de Hong Kong est intervenue après avoir constaté "un manque évident de progrès de la part de l'entreprise dans la présentation d'un plan de restructuration viable". Cette décision a été jugée "extrêmement regrettable" par le PDG de la société, Shawn Siu, dans une déclaration au 21st Century Business Herald, sans toutefois fournir d'informations fiables sur les progrès supposés dans l'octroi de nouveaux prêts pour rembourser les anciens crédits. A cet égard, l'avocat Fergus Saurin, représentant le groupe de créanciers qui avait demandé la liquidation d'Evergrande, a nié que l'entreprise était en négociation avec eux pour une restructuration de la dette. Selon l'AFP, Saurin a déclaré qu'Evergrande avait "seulement engagé une tentative de dialogue de dernière minute, qui n'a pas porté ses fruits", avant d'ajouter que "l'entreprise ne peut s'en prendre qu'à elle-même pour avoir été mise en liquidation".  

Le montant de la dette s'élève à la somme astronomique de 2 388 milliards de yuans, soit 308 milliards d'euros, un passif que les liquidateurs ne pourront alléger que d'un petit 4% au mieux. C'est donc un trou considérable pour les banques qui ont accordé ces prêts, en grande majorité chinoises, puisque sur une dette aussi formidable, seuls 22 milliards d'euros auraient été accordés par des institutions étrangères.  

La juge Linda Chan a nommé le cabinet d'avocats Alvarez & Marsal comme liquidateur. C'est ce même cabinet qui a été chargé de la liquidation de Lehman Brothers, le gigantesque système pyramidal qui a déclenché la grande crise financière mondiale de 2008, dont de nombreux pays et régions du monde, y compris l'Union européenne, ne se sont pas encore totalement remis.   

Cela marque la fin d'une période de croissance excessive dans le secteur de la construction en Chine, où des dizaines de millions de nouveaux appartements ont été contractés sur plan, ce qui a permis aux promoteurs d'obtenir des lignes de crédit sans trop de difficultés. L'exemple d'Evergrande a d'ailleurs été suivi par d'autres entreprises de construction, qui ont fini par faire feu de tout bois face au volume global de la dette immobilière. La ruée a sérieusement affecté les autres pays qui, face à la forte demande chinoise, ont vu le prix de tous les matériaux se multiplier, du ciment au fer, ainsi que le vidage de milliards de mètres cubes de sable sur les côtes des pays en développement, provoquant de fortes distorsions sur les marchés et dans la nature.  

Le président Xi Jinping a ordonné l'arrêt du rythme effréné de la construction, considérant son endettement brutal comme le principal facteur de risque pour l'économie et le système financier du pays. Malgré cela, le risque n'a pas disparu et continue de planer. La raison en est la baisse des prix de vente des appartements construits, qui rend plus difficile pour les promoteurs d'honorer en temps voulu les prêts qu'ils ont contractés. Selon les données officielles, les banques chinoises ont accordé l'équivalent de 1,29 trillion d'euros de prêts immobiliers en 2023. Evergrande ne figure plus parmi les bénéficiaires, mais cette affaire a donné l'alerte sur le fait que d'autres entreprises pourraient présenter des trous d'une ampleur inquiétante dans leurs comptes.