L'Europe se rend à la technologie perturbatrice du milliardaire Elon Musk

Elon Musk, le propriétaire de X, anciennement Twitter, et l'entrepreneur à la tête des systèmes mondiaux de transport spatial, vient de subir un sérieux revers dans ses projets ambitieux d'emmener des astronautes sur la Lune et sur Mars. Sa méga-fusée Starship de 120 mètres de haut - l'équivalent d'un immeuble de 45 étages - s'est autodétruite le 18 novembre au milieu de son deuxième vol d'essai à 148 kilomètres d'altitude.
Mais ce revers majeur n'a pas d'incidence sur le fait que le milliardaire américain et son lanceur Falcon 9 sont les principaux bénéficiaires de la grave crise qui a privé l'Agence spatiale européenne (ESA) de l'une de ses trois fusées.
Depuis le 10 octobre, l'ESA et l'Union européenne n'ont plus de fusées pour mettre leurs satellites en orbite. Peu enclines à contracter des véhicules spatiaux auprès de la Chine ou de l'Inde, et incapables de le faire avec des lanceurs en provenance de Russie, les deux organisations européennes n'ont eu d'autre choix que de se tourner vers le riche homme d'affaires, sa société SpaceX et sa fusée Falcon 9.

L'absence de capacité souveraine de l'Europe à accéder à l'espace durera jusqu'au milieu ou à la fin de l'année 2024. L'impact est tel que les ministres européens réunis à Séville les 6 et 7 novembre l'ont qualifié de "crise". Le directeur général de l'ESA, l'Autrichien Josef Ashbacher, et le commissaire européen au marché intérieur, le Français Thierry Breton, sous la coupe desquels se trouve la politique spatiale de Bruxelles, en ont fait les frais.
Conséquence immédiate : sept satellites européens ont dû changer de mains pour être mis en orbite. Quatre engins de l'UE et trois de l'ESA ont dû mettre en suspens leurs contrats avec les fusées européennes Ariane 6, Vega et Vega-C commercialisées par la société française Arianespace et s'incliner devant la Falcon 9 fiable et réutilisable d'Elon Musk.

Le plus fiable et le plus envié au monde
Avec un taux de réussite de 99,3 %, le Falcon 9 fait l'envie des agences spatiales chinoise, russe, indienne et même de la NASA et, bien sûr, de l'ESA et de l'UE. Haut de 70 mètres, doté de deux étages de propulsion et d'une capacité d'emport maximale de 22,8 tonnes, il a déjà volé plus de 280 fois depuis son premier vol en juin 2010 et son étage de propulsion a été récupéré plus de 230 fois.
Avec un coût officiel par lancement de l'ordre de 67 millions de dollars, le Falcon 9 d'Elon Musk présente l'avantage supplémentaire de pouvoir décoller depuis trois sites différents. SpaceX dispose d'installations de lancement et de concessions dans la zone militaire et dans la zone civile de Cap Canaveral, en Floride, sur la côte atlantique. Son troisième pas de tir se trouve sur la base aérienne de Vandenberg, au bord de l'océan Pacifique.
Principal moyen de transport des Etats-Unis pour mettre en orbite des satellites militaires, commerciaux, scientifiques et même espions, envoyer des vaisseaux de ravitaillement à la Station spatiale internationale ou encore transporter et ramener des astronautes, Falcon 9 a réussi à décoller 60 fois en 2022 sans aucun incident. Au 19 novembre, il a déjà dépassé les 80 lancements réussis en 2023 et l'objectif est d'atteindre les 100 d'ici la fin de l'année, ce qu'il est en bonne voie de réaliser.

L'une des missions européennes qui a été transférée est HERA, qui fait partie du programme de sécurité spatiale de l'ESA. La sonde spatiale doit prendre rendez-vous avec les astéroïdes Didymos et Dimorphos en décembre 2026, afin de vérifier dans quelle mesure l'impact de la sonde DART de la NASA - survenu le 26 septembre 2022 - est parvenu à les dévier de leur trajectoire. HERA devant être lancé en octobre 2024, l'ESA ne peut prendre le risque d'attendre Ariane 6, dont on ne sait pas quand elle sera opérationnelle.
Un autre programme qui a déjà pris près d'un an et demi de retard et qui ne peut plus être retardé est EarthCARE, un projet conjoint avec l'Agence japonaise d'exploration aérospatiale (JAXA). Il vise à améliorer la compréhension par la communauté scientifique du rôle que jouent les nuages et les aérosols dans le diagnostic de l'état de santé de la Terre.

Falcon 9, au service de l'autonomie stratégique européenne
L'ESA a signé un contrat avec Arianespace le 28 octobre 2019 pour qu'une fusée russe Soyouz, tirée depuis la base européenne de Guyane française, place EarthCARE à 393 kilomètres d'altitude. De là, il doit mesurer le rayonnement solaire qui frappe la planète, le rayonnement infrarouge qu'elle piège et le rayonnement qu'elle renvoie dans l'espace.
Cependant, la guerre en Ukraine ayant entraîné la suspension des vols Soyouz au départ de la Guyane, l'ESA a décidé que son satellite scientifique de 2,3 tonnes voyagerait à bord du vaisseau européen Vega-C. Mais ses échecs, ses lacunes et ses limites ont entraîné la suspension des vols Soyouz. Mais ses échecs, insuffisances et limitations ont conduit l'agence à opter également pour Falcon 9, qui doit transporter EarthCARE jusqu'au rendez-vous avec l'astéroïde en mai 2024.

Du côté de Bruxelles, la plus grande "gêne" que le commissaire européen Breton dit ressentir est de devoir passer un contrat avec Falcon 9 - le concurrent direct d'Ariane 6 - pour positionner deux satellites Galileo en avril 2024, suivis de deux autres en juillet. Ces quatre satellites doivent renouveler autant que possible les 23 satellites actuellement en service dans la constellation européenne Galileo de satellites de navigation, de positionnement et de synchronisation, principal concurrent mondial du système américain GPS.
Un autre contrat se profile à l'horizon. L'ESA n'a pas encore révélé si elle avait déjà passé un contrat avec Falcon 9 pour le satellite radar Sentinel-1C de sa constellation d'observation de la Terre Copernicus. L'agence a signé l'accord en avril 2022 pour que Vega-C le place à 693 kilomètres d'altitude au cours du premier semestre de cette année, ce qui n'a pas eu lieu. Le lancement a été reprogrammé pour 2024 et devrait être effectué avec Falcon 9.

Outre les satellites européens qui ont été repositionnés à bord de Falcon 9, il y a le télescope européen Euclid, construit pour percer les secrets de l'univers sombre. L'Euclid, qui pèse 2 tonnes, devait s'envoler de la Guyane française à bord du vecteur russe Soyouz. Mais les sanctions liées à la guerre d'Ukraine entre les deux parties l'en ont empêché, et Euclid a quitté Cap Canaveral le 1er juillet à bord d'un autre Falcon 9, qui est devenu le "champion de l'autonomie stratégique de l'Europe", sourient les États-Unis.