La guerre de l'eau

Par le passé, nous avons évoqué les problèmes qui menacent la situation déjà « mouvante » de l'Afrique de l'Est, une région en proie à l'instabilité politique, à l'extrême pauvreté et à la montée du terrorisme djihadiste.
Malheureusement, l'une des raisons de ces problèmes est la pénurie d'eau, un facteur que de nombreux analystes, et même des rapports officiels d'agences telles que le département d'État américain, ont longtemps désigné comme la principale cause potentielle de conflit dans un avenir à moyen terme. Cette fenêtre d'opportunité s'est peut-être refermée.
À la fin du mois dernier, on a appris que l'Égypte avait, après quatre décennies d'absence, apporté sa première aide militaire à la Somalie sous la forme de livraisons d'armes. Cette nouvelle a tiré la sonnette d'alarme, car la conséquence évidente de cette action est une aggravation des tensions entre les deux pays et l'Éthiopie.
L'explication de ce rapprochement de longue date entre l'Égypte et la Somalie se trouve dans la signature par l'Éthiopie d'un accord préliminaire avec la région sécessionniste du Somaliland pour louer des terres côtières afin de sécuriser un débouché maritime en échange d'une éventuelle reconnaissance de son indépendance vis-à-vis de la Somalie.

Cette démarche n'a pas été décidée au hasard. Elle s'inscrit dans une tentative de tirer parti du statut d'État défaillant de la Somalie et dans un contexte de tensions régionales sur les ressources en eau. Le gouvernement de Mogadiscio n'a pas tardé à qualifier l'accord d'atteinte à sa souveraineté et a déclaré par la suite son intention d'utiliser tous les moyens nécessaires pour le bloquer.
Mais à l'origine de cette triple confrontation se trouve une question plus importante, qui contraint les parties concernées à rechercher des alliances, des soutiens et des moyens d'affaiblir leur adversaire. Ce problème est lié à l'accès à l'eau, qui est la clé de l'économie et du développement de la région.
L'Égypte est à couteaux tirés avec l'Éthiopie depuis des années au sujet de la construction par Addis-Abeba d'un grand barrage hydroélectrique aux sources du Nil, connu sous le nom de « Grand barrage de la Renaissance », une prouesse d'ingénierie que l'on pourrait qualifier de pharaonique. C'est cette confrontation qui l'a conduit à condamner l'accord sur le Somaliland.

Pour matérialiser ce désaccord, il a signé un pacte de sécurité avec Mogadiscio, proposant, outre des équipements militaires, d'envoyer des troupes dans une nouvelle mission de maintien de la paix en Somalie.
Il n'échappe à personne qu'il s'agit là d'une nouvelle étape dans l'escalade entre les deux pays (Égypte et Éthiopie), dont les tensions, comme nous l'avons mentionné, découlent de la construction du barrage. L'hostilité, qui couve depuis des années, pourrait éclater sur le sol somalien, et c'est ce qui rend la situation plus que critique, car la perspective d'une guerre menée non pas sur le sol d'un pays mais sur celui d'un troisième est souvent un encouragement au combat, car ce ne serait pas la population de l'un ou l'autre pays qui en subirait les conséquences.
Mais remettons en perspective la véritable raison du conflit : comment la question du Grand barrage de la Renaissance a-t-elle évolué ces dernières années ?
L'Éthiopie défend la construction du barrage comme une action essentielle qui donnera un coup de fouet à son développement économique. En effet, l'ouvrage a la capacité de produire plus de 5 000 mégawatts d'électricité. Toutefois, le gouvernement égyptien s'est inquiété de l'impact que le remplissage du barrage pourrait avoir sur son accès à l'eau, en particulier en période de sécheresse.

Le barrage, en construction depuis plus de dix ans, a fait l'objet d'une controverse en raison de son impact potentiel sur le débit du Nil, dont l'Égypte et le Soudan dépendent fortement pour leurs ressources en eau. Malgré les tentatives de médiation de l'Union africaine, et bien que les pourparlers entre les trois pays aient permis d'entrevoir des progrès ou des accords possibles, les négociations de fond sont au point mort depuis deux ans.
En 2011, le gouvernement éthiopien a annoncé le début des travaux de construction de ce qu'il a appelé le « Grand barrage de la Renaissance ». Les travaux ont commencé unilatéralement et sans le consentement des pays riverains, l'Égypte et le Soudan, qui seraient clairement affectés d'une manière ou d'une autre par leur dépendance à l'égard des eaux du Nil. Il n'est pas surprenant que cela ait entraîné des tensions dans la région, en particulier avec l'Égypte, qui dépend du Nil pour plus de 90 % de son approvisionnement en eau.
Pour tenter d'apaiser les tensions, l'Égypte, l'Éthiopie et le Soudan ont signé un accord préliminaire en 2015 avec une déclaration de principes établissant les principes de coopération et de compréhension sur l'utilisation du Nil. L'accord soulignait la nécessité de réaliser des études techniques et des évaluations sur l'impact du barrage.

Ces études ont été retardées alors que la construction continuait de progresser, ce qui a rendu les négociations entre les trois parties si difficiles que l'Égypte a accusé l'Éthiopie d'avancer unilatéralement sans tenir compte des préoccupations des autres pays. À ce stade, en 2018, on peut considérer que les négociations ont échoué.
Même sans accord avec l'Égypte et le Soudan, l'Éthiopie a annoncé, à la mi-2020, le premier remplissage du barrage. L'Égypte a porté l'affaire devant le Conseil de sécurité des Nations unies, arguant que l'action unilatérale de l'Éthiopie constituait une menace pour sa sécurité hydrique et la stabilité régionale. L'Éthiopie a toutefois répliqué en déclarant qu'elle avait tout à fait le droit d'utiliser ses ressources naturelles comme elle l'entendait pour contribuer au développement du pays.
En 2021, l'Union africaine est intervenue et a tenté une médiation entre les parties, mais les négociations ont de nouveau échoué face à la position intransigeante de l'Éthiopie et à ses actions unilatérales qui se sont matérialisées par le second remplissage du barrage. Cela a accru la tension avec l'Égypte et le Soudan, qui ont publié des communiqués mettant en garde contre les conséquences sur le débit d'eau et l'accès aux ressources en eau, ainsi que sur les implications pour leurs économies respectives. Il s'agissait d'une situation qu'ils ne pouvaient pas tolérer.

Le quatrième remplissage du barrage a été achevé en 2023, marquant le début de la phase finale de ce projet ambitieux, qui a de nouveau suscité des tensions, principalement avec l'Égypte. Aucune des tentatives de négociation ou de médiation n'a abouti à des résultats positifs. C'est alors que l'Égypte a décidé de prendre des mesures plus énergiques.
C'est en janvier de cette année que les tensions diplomatiques sont montées en flèche lorsque l'Éthiopie a annoncé le début du remplissage du cinquième bassin, rapprochant inexorablement le projet de son achèvement.
La réponse de l'Égypte ne s'est pas fait attendre et, en février, elle a annoncé son engagement à participer à la Mission de stabilisation et de soutien de l'Union africaine (AUSSOM) en Somalie, qui remplacera l'actuelle mission de maintien de la paix de l'UA à la fin de l'année 2024. Cette décision a eu des conséquences pour l'Éthiopie, qui a vu la question du barrage continuer à nuire gravement à ses relations avec l'Égypte.
En août dernier, la situation s'est à nouveau détériorée lorsque la Somalie a menacé d'expulser les troupes éthiopiennes stationnées sur son territoire si l'Éthiopie ne revenait pas sur son accord avec le Somaliland. L'Egypte, voyant la possibilité d'augmenter la pression sur l'Ethiopie, a réitéré son soutien à la Somalie et son rejet de l'accord entre l'Ethiopie et le Somaliland, réaffirmant sa volonté de défendre la Somalie contre toute menace extérieure.

L'Egypte a profité de ces tensions pour renforcer ses liens avec la Somalie, cherchant à contrer l'influence de l'Ethiopie dans la région et à renforcer sa position dans le conflit autour du Grand barrage de la Renaissance.
Plusieurs éléments clés permettent de comprendre ce qui se passe. D'une part, la dépendance de l'Égypte à l'égard du Nil représente la quasi-totalité de l'approvisionnement en eau du pays. À cela s'ajoute l'attitude unilatérale de l'Éthiopie, qui voit dans le barrage une formidable opportunité d'amorcer un décollage économique après des décennies de misère.
C'est cette nécessité qui l'a poussée à agir sans attendre la conclusion des négociations. L'énorme subordination des deux pays au fleuve est la raison pour laquelle toute forme de médiation a échoué. Enfin, il y a l'impact sur le Soudan, qui est également concerné, mais dont la situation interne actuelle le met en position de faiblesse, bien que sa position ait toujours été favorable à l'Égypte.
Le conflit autour du barrage de la Renaissance n'a pas été résolu depuis plus de dix ans. À chaque phase de remplissage, les tensions entre l'Éthiopie et l'Égypte se sont intensifiées et il ne semble pas y avoir de perspective de solution diplomatique claire. Les prochaines phases de remplissage du barrage, surtout en période critique comme la sécheresse, seront décisives dans l'évolution de ce conflit régional, qui est basé sur l'accès à l'eau, mais qui peut entraîner d'autres pays comme la Somalie, et que ceux qui sont réellement concernés par le problème semblent déterminés à utiliser comme « terrain de jeu », augmentant ainsi l'instabilité d'une région dans laquelle les problèmes ne manquent pas et dont le développement peut avoir des conséquences très graves pour tout le monde.