Une raffinerie de pétrole du Kurdistan irakien a été attaquée par des roquettes, apparemment par des milices pro-iraniennes. Le 1er mai, jusqu'à six roquettes ont touché une raffinerie dans la capitale et principale ville de la région, Erbil, provoquant un incendie dans l'un de ses principaux réservoirs, selon les forces de sécurité locales.
La même raffinerie, gérée par la compagnie pétrolière kurdo-irakienne KAR Group, avait subi une attaque similaire le 6 avril, sans qu'aucun groupe ne revendique la responsabilité de ces actions.
Le secteur de l'énergie représente la principale source de revenus de la région, dans laquelle le groupe KAR est l'une des entreprises les plus importantes.

Masrour Barzani, le premier ministre du GRK, a fermement condamné les attaques dans un communiqué, appelant le premier ministre irakien Mustafa Al-Kadhimi à prendre toutes les mesures nécessaires contre les "groupes hors-la-loi" responsables, sans nommer directement l'auteur.
"Ces attaques ne peuvent pas continuer et une position et une action sérieuses doivent être prises", a conclu le politicien kurde.
Selon Lawk Ghafuri, porte-parole du gouvernement régional du Kurdistan, l'attaque serait partie de la ville de Bartella, près de Mossoul, dans la province de Ninive. Selon Al Monitor, la ville abriterait les Forces de mobilisation populaire (PMU), une coalition de milices principalement chiites (mais aussi sunnites et appartenant à la minorité ethnique irakienne) alliées à l'Iran.

Les PMU sont apparues en 2014 pour combattre l'État islamique, ennemi acharné de l'Iran et de l'islam chiite, bien que nombre d'entre elles remontent à 2003, après la chute du régime de Saddam Hussein et la montée subséquente de l'influence iranienne dans le pays.
Les PMU font officiellement partie des forces armées irakiennes depuis 2016, même si depuis leur création, ils sont alliés à l'Iran, leur principal soutien extérieur, ce qui a conduit leurs rivaux à les accuser d'être une cinquième colonne iranienne dans le pays.
Malgré cela, ils ne constituent pas un groupe unitaire, mais une coalition de milices plus ou moins proches de Téhéran, qui agissent parfois aussi avec leur propre autonomie.

Ces épisodes ont été précédés, le 13 mars, par une attaque au missile balistique contre un autre complexe du groupe KAR à Erbil, revendiquée par le Corps des gardiens de la révolution islamique, la branche la plus importante de l'armée iranienne, qui protège son régime politique. Téhéran a justifié son attaque en affirmant avoir frappé un "centre stratégique de conspiration" israélien, sans fournir d'autres preuves.
BREAKING: Multiple videos show a ballistic-missile attack on the U.S. consulate in Erbil – within the Kurdistan region of Iraq.
— Clint Ehrlich (@ClintEhrlich) March 12, 2022
Here is the first video, showing the size of the blasts. ? pic.twitter.com/VBkHeWp4UT
Pour Kawa Hassan, directeur du programme Moyen-Orient et Afrique du Nord au Centre Stimson, l'annonce ouverte par Téhéran de l'attaque du 13 mars implique l'intention d'envoyer un message clair au niveau régional, notamment à des rivaux comme Israël.
Cette situation, poursuit Hassan, pourrait être aggravée par un certain nombre d'autres facteurs à l'origine du raisonnement de l'Iran, tels que la pression exercée sur les autorités kurdes pour qu'elles forment un gouvernement en Irak ou la réponse à leurs projets d'exportation de gaz naturel.

L'Irak est actuellement dans une impasse politique, suite aux élections législatives d'octobre 2021 qui ont généré des métriques électorales défavorables à l'émergence d'un nouveau gouvernement.
Les élections ont été remportées par le parti du religieux chiite Muqtada al-Sadr, qui a appelé après les élections à un "gouvernement de majorité nationale" et s'en est pris aux PMU, avec lesquels il entretient des relations compliquées, déclarant qu'"ils doivent se dissoudre immédiatement et remettre leurs armes au gouvernement".
Al-Sadr a cherché à former un gouvernement avec le Parti démocratique du Kurdistan (PDK) de Barzani et le bloc à tendance sunnite dirigé par Muhammad al-Halbousi.

Cela exclurait les partis pro-iraniens et pro-PMU, affaiblis après les élections, qui ont dénoncé la fraude électorale et bloqué l'éventuelle investiture mais n'ont pas pu former un gouvernement alternatif, entraînant le pays dans une impasse politique de six mois.
Téhéran et ses alliés irakiens tenteraient de faire pression sur le PDK et Al-Halbousi afin d'isoler Al-Sadr et de parvenir à un gouvernement élargi, selon ce que des politiciens irakiens familiers des négociations ont déclaré à Middle East Eye, le contexte dans lequel les attaques contre le Kurdistan auraient eu lieu.
Pour Ali Fathollah-Nejad, spécialiste de l'Iran à l'Université américaine de Beyrouth, ces attaques, si elles sont imputables aux milices chiites pro-iraniennes, peuvent être considérées comme une démonstration de leur pouvoir de nuisance (ou pouvoir négatif), d'autant plus qu'elles ont averti de recourir à la violence si elles ne sont pas incluses dans le gouvernement.
D'autres rapports font également état des plans énergétiques du gouvernement kurde, selon lesquels Erbil vise à renforcer sa position en tant qu'exportateur de gaz naturel. C'est ce qu'a annoncé Marzani lors du Forum mondial de l'énergie, en déclarant que " [le Kurdistan] deviendra un exportateur net de gaz vers le reste de l'Irak, la Turquie et l'Europe dans un avenir proche ". Erbil serait ainsi en concurrence directe avec Téhéran, qui est également un producteur important.

Ces déclarations sont intervenues quelques semaines après que le gouvernement régional du Kurdistan a signé un accord avec le groupe KAR pour la construction d'un gazoduc jusqu'à la frontière turque, ouvrant ainsi la porte à un marché européen très demandeur de nouvelles sources de gaz naturel afin de réduire sa dépendance vis-à-vis de la Russie.
En attaquant les installations du groupe KAR, l'Iran et ses alliés s'attaqueraient au cœur même de l'économie kurde et de ses plans d'expansion.