Marruecos y Francia en la encrucijada

La géopolitique prend le dessus dans les relations franco-marocaines. La France est passée du tapis rouge au rejet au Maroc, en particulier, et en Afrique, en général.
La dernière décennie a été marquée par les maladresses de la politique étrangère française à l'égard du Maroc. Des actes hostiles qui vont à l'encontre des intérêts sublimes des Marocains. Mais l'heure de vérité a sonné, le moment est venu de lever les inconnues et de sortir de la "zone de confort", comme ne cessent de le réclamer les autorités marocaines.
La France sait beaucoup de choses et est consciente du mal qu'elle a fait aux pays africains depuis le siècle dernier. L'Afrique a été pillée, exploitée, espionnée et gérée par la France pendant des décennies. Les pays africains ont souffert et continuent de souffrir des conséquences de l'impérialisme français.
Après l'indépendance, les pays africains ont aspiré à établir des relations bilatérales d'interdépendance avec la France. Cependant, au fil des décennies, les Africains ont découvert qu'ils étaient passés d'une dépendance dure (militaire et économique) à une indépendance douce (la France est dans tout sans être douce) avec la complicité d'une élite autochtone française jusqu'au bout des ongles. Le Maroc ne fait pas exception. Il souffre et continue de souffrir des conséquences du protectorat français. Le conflit du Sahara est l'une de ces conséquences.
Malheureusement, la France n'a pas tiré les leçons de son passé au Maroc et en Afrique. L'arrivée d'Emmanuel Macron au pouvoir en France en 2017 a dégradé les relations françaises avec l'Afrique. "Macron, roi sans couronne", comme le décrit Marc Bassets en 2018 veut être Napoléon ; "Son autorité est désormais perçue comme de l'autoritarisme. Son audace, comme un caprice", affirmait Basset.
Au cours de son second mandat, Macron tente de se réapproprier l'impérialisme français dans une nouvelle version, plus douce. Pour reprendre les termes d'un éditorial du Monde : "La France doit se ressaisir en Afrique" (6 mars 2023). Mais l'Afrique et le Maroc d'aujourd'hui ne sont pas ceux d'hier, ont insisté des responsables marocains et africains. Les réactions du parlement marocain et du président de la République démocratique du Congo reflètent le rejet du paternalisme français.

Une France en déclin dans le monde, et notamment en Afrique, ne peut pas donner des ordres ou faire pression sur les Africains. Leur engagement en faveur de la terre nourricière, l'Afrique, dérange la France qui considère ce continent comme son arrière-cour.
L'entrée en Afrique d'autres grands acteurs mondiaux tels que la Chine, les États-Unis, l'Inde, la Russie, la Turquie, entre autres, dérange la France. Et elle est encore plus troublée par le nouvel esprit africain qui aspire à une indépendance totale vis-à-vis de la France et à une coopération intra-africaine, comme l'a déjà souligné le roi du Maroc Mohamed VI en appelant à une "Afrique pour les Africains".
Cet article vise à contribuer à la compréhension de la tension actuelle entre la France et le Maroc. La mention de l'Afrique dans les paragraphes introductifs peut aider à comprendre certaines des actions de la France à l'égard du Maroc au cours des dernières semaines. Elle permet également de comprendre la nouvelle vision du Maroc à l'égard de la France. Ces visions s'opposent actuellement pour diverses raisons que nous analyserons dans cet article.
Le retour du Maroc au sein de l'Union africaine en janvier 2017, son engagement constant en matière d'investissement, de présence et d'influence sur le continent, son rôle de médiateur entre les Libyens, ses liens étroits avec les États-Unis, la Grande-Bretagne, l'Allemagne, l'Espagne, Israël et la plupart des pays africains, sa diplomatie spirituelle et économique en Afrique ; la diversification de ses partenaires et alliés proches et lointains ; les grands succès du Maroc dans les conflits du Sahara au cours des deux dernières décennies ; le tandem Maroc-USA-Israël ; le tandem Espagne-Maroc-Allemagne ; l'accent mis sur la langue anglaise et l'espagnol au détriment du français ; tout cela a été suivi avec beaucoup d'intérêt et d'inquiétude de la part de Paris.
De nombreux cercles français sont mécontents de la nouvelle stratégie du Maroc dans la région, dans un nouvel ordre mondial et régional qui est sur le point de naître. Les Français estiment que la politique marocaine est trop orientée vers les États-Unis au niveau mondial et vers l'Espagne, l'Allemagne et la Grande-Bretagne au niveau européen, au détriment de la France. C'est logique. Rétrospectivement, l'expérience du Maroc avec la France après l'indépendance n'a pas été heureuse. En 50 ans, la France s'est accrochée au soutien du Maroc et, depuis 2007, elle n'a soutenu le plan d'autonomie pour le Sahara qu'en paroles et non en actes. Le roi Mohammed VI a déjà déclaré que le Sahara est le spectacle à travers lequel le Maroc voit et mesure ses relations avec ses partenaires.

L'Espagne, l'Allemagne et d'autres pays européens ont dépassé la France dans la reconnaissance de la marocanité du Sahara, suivant les traces des Etats-Unis. La France est désormais "au bord du gouffre".
La nouvelle réalité franco-marocaine ne peut plus être masquée par des discours officiels ou des artifices cosmétiques. Une relation qui a été et continue d'être fragilisée par des tensions imparables ces derniers mois, comme les restrictions de visas, le dossier du Sahara ou le pari algérien d'Emmanuel Macron.
La France n'a pas su soigner ses relations bilatérales avec le Maroc. Elle a aussi profité de l'avant-dernière crise grave de 2014.
Abdelatif Hamouchi, chef de la Direction générale de la surveillance du territoire (DGST), a été convoqué par la justice française en février 2014 lors d'une visite à Paris. Cet acte français a déclenché une crise majeure entre les deux pays. La France a rectifié le tir quelques mois plus tard en décorant Abdelatif Hamouchi de la médaille d'officier de la Légion d'honneur en 2015. Si la France avait tiré les leçons du passé, elle aurait fait bonne figure au Maroc.
C'est pourquoi les deux pays sont appelés à expliquer et à évaluer l'état de santé de leurs relations bilatérales. En se parlant, on se comprend, les deux pays ont besoin l'un de l'autre, mais toujours dans le respect mutuel.
Il vaut mieux opter pour la réconciliation et la compréhension car des décennies d'interconnexions et d'échanges humains, sociaux, économiques, commerciaux et diplomatiques ne s'effacent pas en quelques mois.

La realpolitik et le pragmatisme peuvent nous faire avancer. Tout pas en arrière, il y a toujours ceux qui peuvent en profiter. Et il y a ceux qui ont profité de la débâcle de la France en Afrique et au Maroc. Cela pourrait aller plus loin.
La France elle-même est la seule responsable. La crise pourrait être une très bonne occasion pour le Maroc d'approfondir sa politique de diversification de ses partenaires et de son rôle en Afrique.
La résolution du Parlement européen sur la liberté de la presse et la liberté d'expression au Maroc le mois dernier a été la goutte d'eau qui a fait déborder le vase des relations franco-marocaines. Le Maroc a pointé du doigt la France. Les parlementaires marocains accusent un député européen proche de l'Elysée de tirer les ficelles de la "sale guerre" contre le Maroc au sein du Parlement européen.
Les relations bilatérales se dégradent et la version espagnole du reportage polémique de France24 vient envenimer les relations franco-marocaines. Il ne faut pas remuer le couteau dans la plaie, mais il semble que la France ne veuille pas freiner son impopularité croissante et son rejet au Maroc et en Afrique.
La France cherche un équilibre au Maghreb au détriment du Maroc et en faveur de l'Algérie dans un contexte de crise énergétique mondiale et d'insécurité croissante au Sahel. Rabat a compris la manœuvre française. Et il a su coincer la France en se rapprochant de l'Espagne, de l'Allemagne, du Royaume-Uni, de la Pologne, des Etats-Unis, d'Israël et de l'Amérique latine, entre autres. Mais l'Elysée a fini par payer le prix de sa politique partiale et égoïste à l'égard du Maghreb.
Du côté marocain, il est vrai que le principal facteur d'interférence dans les relations bilatérales avec la France était et reste, comme la crise actuelle l'a révélé, la position française sur son soutien négatif à l'initiative marocaine sans sortir de sa zone de confort depuis 1976.
Les manœuvres de la presse française et des eurodéputés sont devenues un élément de friction dans les relations bilatérales, dont Macron lui-même et son gouvernement ont tenté de minimiser l'ampleur. Le Maroc reproche à la France l'approbation de la résolution par le Parlement européen et la publication du rapport par France24.
Fondamentalement, l'importance du Maroc en Afrique dérange la France. "Le Maroc renforce ses liens avec le continent africain depuis le 30 janvier 2017, à l'occasion du 28e Sommet des chefs d'État et de gouvernement de l'Union africaine (UA). Le Maroc réintègre l'institution internationale après trois décennies passées en dehors d'elle ; plus précisément depuis 1984" après que l'UA a reconnu le Polisario comme membre à part entière. Sa réintégration a été soutenue par 39 des 54 États membres", peut-on lire dans une étude de l'Institut espagnol d'études stratégiques du 6 mai 2021, rédigée par Carla Villamayor García sous le titre "Le Maroc : une nouvelle puissance régionale en Afrique ?"

En outre, le Maroc fait partie de l'Accord de libre-échange africain qui est entré en vigueur le 30 mai 2019 et dont l'objectif "est et sera de faire de l'Afrique l'un des plus grands marchés économiques et de libre circulation des personnes dans le monde ; composé de 55 États, ce qui se traduit par plus de 1,2 milliard de personnes à ce jour", selon la même source. Le "renforcement des relations entre le Maroc et la région du Sahel" dérange également la France.
On ne peut comprendre les attaques françaises contre le Maroc sans revenir sur les relations commerciales croissantes de Rabat avec l'Afrique. "L'intérêt du Maroc pour le rapprochement des positions et des liens avec ses homologues africains n'est pas récent, puisqu'il a pris des mesures solides dans ce sens depuis le début des années 2000. Depuis l'accession au trône de Mohammed VI en 1999, le Roi a mené une diplomatie panafricaniste vigoureuse et dynamique qui l'a conduit à effectuer plus de quarante voyages officiels dans plus de trente pays d'Afrique subsaharienne, mais avec une attention particulière pour la communauté francophone, notamment : Côte d'Ivoire, Sénégal, Gabon, Mali, Guinée-Bissau, Rwanda, Tanzanie, Éthiopie, Nigeria, Ghana et République de Guinée', précise Carla Villamayor García.
Le Maroc dispose de plusieurs atouts pour aller de l'avant et devenir un acteur majeur en Afrique. La diplomatie religieuse est un atout qui n'est pas à la portée de la France. De même que la diplomatie économique. "Les pays traditionnellement influents au Sahel ont été récemment rejoints par le Maroc, qui (...) la dérive malienne vers l'extrémisme violent sur le référentiel religieux a permis au Maroc d'exercer pour la première fois une politique de soft power à travers la légitimité religieuse incarnée par le roi Mohammed VI", reflète la chercheuse Beatriz Mesa dans une analyse intitulée "Le Sahel, théâtre des rivalités maghrébines", publiée dans la revue AFKAR/ Idées (n° 63, été 2021).
Sur le plan économique, depuis le retour du Maroc au sein de l'Union africaine, "l'intégration économique du Maroc dans cette partie du continent africain s'est notablement accélérée. Les exportations marocaines vers les pays voisins du Sahel ont augmenté de 9 % et les investissements directs étrangers de 4,4 %. Les pays vers lesquels le Maroc exporte ses produits sont le Sénégal, la Mauritanie, le Mali, la Côte d'Ivoire et le Nigeria, qui sont les plus grands acheteurs africains de produits marocains, ainsi que de produits alimentaires, de machines et de produits chimiques", souligne Beatriz Mesa. P.33

Le Maroc est très bien interconnecté avec le continent africain. "La Royal Air Maroc, qui part vers l'une des 22 destinations de l'Afrique subsaharienne où des ressources sont investies. Plusieurs faits illustrent bien la vision stratégique du pays maghrébin pour l'avenir au Sahel et en Afrique de l'Ouest : l'Atijari Wafabank est devenue la quatrième banque de la région. Dans les télécommunications, Maroc Telecom a acquis 54% de Mauritel (Mauritanie), 51% de Gabon Telecom en 2007, 51% d'Onatel (Burkina Faso), et 51% de Sotelma (Mali)", ajoute Beatriz. P. 33.
La chercheuse conclut que le Maroc veut devenir un pays clé en termes d'investissements, d'exportations et d'importations en Afrique, au bénéfice des Africains. Une vision qui contredit la vision française de l'Afrique.
C'est une réalité que le Maroc est le premier investisseur en Afrique de l'Ouest et le deuxième en Afrique après l'Afrique du sud. C'est une réalité que le Maroc a une grande influence religieuse et économique dans la région du Sahel. Il est vrai que le Maroc est le premier partenaire des États-Unis en Afrique du Nord. L'Espagne est le premier client du Maroc au détriment de la France. Il est vrai que le conflit du Sahara est le thermomètre de la santé des relations bilatérales, mais la géopolitique est un facteur d'importance géopolitique.
Cependant, en politique et en diplomatie, il ne faut jamais dire jamais. Les deux pays sont appelés à se pencher sur les devoirs qu'ils ont encore à faire. Il est temps de gérer la crise. Les crises sont une opportunité. Et il suffit que Macron ait l'humilité de voir la recette espagnole pour surmonter la crise avec le Maroc. Le Maroc et la France pourraient aller main dans la main en Afrique à condition que l'Élysée pense à une Afrique pour les Africains et respecte la souveraineté des pays africains. Pour l'instant, la France est de plus en plus éloignée du Maroc.
Cet article a été publié à l'origine dans Rue20.