Un travail inachevé dix ans après le grand naufrage de Lampedusa

10 ans après la tragédie de Lampedusa

PHOTO/AFP/TIZIANA FABI - Un perro pasa junto a un cartel en el que se lee “Proteger a las personas, no las fronteras” en el muelle de Lampedusa, una pequeña isla al sur de Sicilia, el 26 de septiembre de 2023
PHOTO/AFP/TIZIANA FABI - Un chien passe devant un panneau indiquant "Protégez les gens, pas les frontières" sur le quai de Lampedusa, une petite île au sud de la Sicile, le 26 septembre 2023

Les mesures adoptées en matière de politique migratoire par des pays comme Malte et l'Italie n'ont pas empêché la Méditerranée de devenir un immense tombeau pour plus de 28 000 personnes au cours de la dernière décennie.    

Dix ans après le grand naufrage de Lampedusa, qui s'est soldé par la noyade de 368 migrants à un mille des côtes de l'île italienne, l'histoire dramatique se répète encore et encore : chaque soir, chaque matin tôt, à différentes coordonnées en Méditerranée centrale, de la Libye ou de la Tunisie vers l'Europe. Rien que cette année, selon les données de l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 2 300 personnes se sont noyées sur cette dangereuse route migratoire.   

En cette sombre aube des 2 et 3 octobre 2013, une immense barge remplie de personnes, pour la plupart originaires d'Érythrée, a fait naufrage alors qu'elle était sur le point d'atteindre l'île de Lampedusa. 

Le héros de Lampedusa affirme que de nombreuses autres vies auraient pu être sauvées

À un mille de la côte de Lampedusa se trouvait Vito Fiorino, un marchand de glaces qui avait fermé son magasin ce soir-là et était sorti en mer avec des amis pour pêcher. Il a été le premier à se rendre compte de la tragédie et, sans hésiter, il s'est jeté à la mer pour sauver 47 des 155 survivants. Cette matinée fatidique, qu'il n'oubliera jamais, a marqué sa vie à jamais et aujourd'hui, tous ses voisins le connaissent comme le héros de Lampedusa. 

Voici comment les choses se sont passées. Lorsque Fiorino et ses amis se sont réveillés ce matin-là avec les premiers rayons de lumière, ils ont commencé à entendre des cris, ils ont marché et, depuis la proue, ils ont assisté à "une scène terrifiante". Il décrit comment ils ont vu "environ 200 personnes appelant à l'aide et criant les bras levés". "La peur nous a envahis, mais nous avons commencé à les sauver. Ils étaient nus, ils glissaient parce qu'ils étaient couverts de carburant". Mais ce n'est pas tout. Selon l'homme de 73 ans, deux bateaux gris se sont approchés d'eux sans vouloir les aider, ont braqué sur eux des lumières bleues, que Fiorino attribue à la police, et il dit qu'ils ont pris plusieurs photos d'eux et se sont détournés. "Ils avaient l'intention de les sauver le lendemain matin", c'est ce que Vito Fiorino dénonce depuis des années.  

Puis les choses ont empiré. Le conducteur du bateau, voyant l'eau entrer, a enduit un T-shirt de carburant pour lancer un signal d'urgence désespéré. Un incendie s'est alors déclaré. "J'ai vu comment les femmes et les enfants sont devenus des torches humaines. Ils se sont tous entassés d'un côté et la barge a chaviré. Fiorino admet que ce moment l'a marqué d'une "empreinte indélébile". Quelque 520 personnes se trouvaient sur le ventre de cette péniche. 

PHOTO/AFP/TIZIANA FABI - Una cruz de madera hecha con los restos de una embarcación utilizada por los migrantes para cruzar el mar Mediterráneo se ve en el cementerio donde se entierra a las víctimas de naufragios, en la isla de Lampedusa, el 25 de septiembre de 2023
PHOTO/AFP/TIZIANA FABI - Une croix en bois fabriquée à partir des restes d'un bateau utilisé par les migrants pour traverser la Méditerranée est visible dans le cimetière où sont enterrées les victimes de naufrages, sur l'île de Lampedusa, le 25 septembre 2023

Il a sauvé des dizaines de migrants d'une mort certaine en mer

Aujourd'hui, dix ans plus tard, Vito Fiorino réclame justice. "Je suis très en colère. Ces gens auraient pu être secourus, mais l'indifférence de deux navires probablement militaires a fait que 368 personnes ne sont pas arrivées à l'aube", déplore le glacier. "Nous n'avions rien à faire. Si les autorités s'étaient comportées comme nous, la tragédie aurait sans doute été bien moindre".  

Peu de leçons tirées

Les images des centaines de cercueils empilés à Lampedusa qui ont fait le tour du monde en 2013 ont failli bouleverser les politiques migratoires européennes. Cependant, tous les efforts pour prévenir de nouveaux naufrages ont été vains car, selon l'Organisation internationale pour les migrations (OIM), plus de 28 000 personnes ont perdu la vie en Méditerranée au cours de la dernière décennie, dont 24 000 en Méditerranée centrale. Rien qu'en 2023, on dénombre plus de 2 300 morts ou disparus sur cette route, et l'UNICEF signale qu'entre juin et septembre, au moins 289 enfants se sont noyés.

PHOTO/AFP/TIZIANA FABI - Un ciclista pasa junto a una pesquería en la isla de Lampedusa, una pequeña isla al sur de Sicilia, el 25 de septiembre de 2023
PHOTO/AFP/TIZIANA FABI - Un cycliste passe devant une pêcherie sur l'île de Lampedusa, une petite île au sud de la Sicile, le 25 septembre 2023

"Sauver des vies est la priorité", tel est le mantra que l'Organisation internationale pour les migrations (OIM) est contrainte de rappeler. L'OIM, le HCR et l'UNICEF ont demandé à plusieurs reprises à l'UE de leur fournir davantage de ressources pour mener des opérations de recherche et de sauvetage proactives et coordonnées. Ils affirment qu'il est essentiel que les gouvernements s'appuient sur les organisations non gouvernementales opérant en Méditerranée, parfois persécutées et sanctionnées pour avoir sauvé des vies.

Le problème reste entier car "l'Europe n'a pas fait de pas en avant", prévient l'ancien Premier ministre italien en 2013, Enrico Letta, qui regrette également que de nombreux pays ne soient pas disposés à s'attaquer collectivement à ce problème sur les questions migratoires. Et il les accuse d'avoir "un manque de solidarité et de conscience" face à un problème qui est celui de tous. 

PHOTO/AFP/TIZIANA FABI - Chalecos salvavidas son almacenados a bordo del barco de rescate Aurora de la ONG alemana Sea-Watch que opera en el mar Mediterráneo para rescatar a los migrantes, en el puerto de la pequeña isla de Lampedusa, al sur de Sicilia, el 25 de septiembre de 2023
PHOTO/AFP/TIZIANA FABI - Des gilets de sauvetage sont rangés à bord du navire de sauvetage Aurora de l'ONG allemande Sea-Watch, qui opère en Méditerranée pour secourir les migrants, dans le port de la petite île de Lampedusa, au sud de la Sicile, le 25 septembre 2023

Les politiques européennes en matière de migration ne vont pas assez loin 

Le naufrage de Lampedusa a marqué de nouvelles lignes d'action dans les politiques migratoires en Méditerranée, même si ce n'est que pour une courte durée. Après la tragédie du 3 octobre 2013, des opérations de sauvetage coordonnées entre les autorités italiennes et européennes ont été lancées pour éviter d'autres naufrages, mais l'histoire a montré qu'elles étaient insuffisantes tant que l'on continuerait à enregistrer 2 000 morts par an dans ce que l'on appelle le "charnier méditerranéen". Dans ce cas, des pays comme l'Italie et Malte ont durci leurs politiques migratoires, voir l'exemple de Giorgia Meloni en Italie et de son prédécesseur au pouvoir.

Aujourd'hui, dix ans après cette catastrophe, les choses n'ont pas beaucoup changé en haute mer ou sur terre. Lampedusa, malheureusement, fait à nouveau parler d'elle en raison d'un débordement que ses habitants ne peuvent plus supporter : avec une population d'environ 6 000 habitants, ils ont accueilli plus de 12 000 migrants en quelques jours. En 2023, environ 70 % des débarquements ont eu lieu sur cette petite île touristique italienne, ce qui pose de sérieux problèmes de coexistence. Les centres d'accueil sont surchargés, les transferts vers le continent sont urgents, et peu de décisions sont prises au niveau européen, le Pacte européen sur les migrations et l'asile étant bloqué par l'Italie. Peu de progrès ont été réalisés en dix ans, au cours desquels, selon les organisations humanitaires travaillant sur place, nous n'avons rien appris. 

PHOTO/AFP/TIZIANA FABI - Un barco de la “Guarda di Finanza” italiana está amarrado en el puerto de la pequeña isla de Lampedusa, al sur de Sicilia, el 25 de septiembre de 2023
PHOTO/AFP/TIZIANA FABI - Un navire de la "Guarda di Finanza" italienne est amarré dans le port de la petite île de Lampedusa, au sud de la Sicile, le 25 septembre 2023

Nos devoirs d'Européens se sont accumulés

A l'occasion de ce tragique anniversaire, les critiques à l'encontre des politiques migratoires européennes se font de plus en plus vives. Médecins Sans Frontières déplore que le naufrage de Lampedusa "n'ait servi qu'à déclencher un terrible bilan depuis lors et la mise en place progressive d'une série de mesures qui se sont révélées terriblement inefficaces et inhumaines".  

Sauver des vies est la priorité

Médecins Sans Frontières dénonce également le fait que depuis la fin de la mission "Mare Nostrum", qui a duré un peu plus d'un an, les autorités italiennes et européennes n'ont pas pris une seule mesure pour renforcer les opérations de sauvetage maritime afin d'éviter de nouvelles tragédies dans les eaux de la mer Méditerranée. Le nombre très élevé de noyades chaque année, selon l'ONG, est une "démonstration claire que l'action de recherche et de sauvetage à l'initiative des Etats membres est non seulement nécessaire, mais indispensable et urgente". Les organisations humanitaires s'accordent à dire qu'il est prioritaire pour l'Europe de s'attacher à sauver des vies en proposant des voies de migration sûres et légales, et de s'engager à démanteler les voies illégales mortelles encouragées par les mafias et les trafiquants.